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lundi, c'est caddies. 

La ville nouvelle s'est construite exactement à la jonction de deux mondes : du monde du plein emploi au monde du sans abri, de l'expansion économique à la crise, de l'explosion démographique à la sous-natalité, de l'automobile pour tous à la pollution pour tous, des cités radieuses aux cités dangereuses. Deux mondes antithétiques, mais une seule ville nouvelle conçue, réalisée et faite pour les uns mais habitée par les autres. Les attitudes, les comportements que va adopter cette dernière catégorie seront et sont toujours totalement différents de ceux des autres villes classiques ou même des banlieues. Bon gré mal gré, ces villes servent à ce pour quoi elles ont été conçues : elles abritent l'homme, cet homme nouveau amené dans l'euphorie de la fin d'une époque ou dans la désillusion du début d'une autre

" Habiter Athènes, Corinthe, Sienne ou Amsterdam, c'est habiter un discours. " Jean Duvignaud. Ces quelques villes, présentées précédemment par Duvignaud, sont bien entendues des exemples forts. Si l'on étend ce raisonnement c'est dans toutes nos villes, si pompeusement nommées ville d'art et d'histoire, que s'établit un discours. Cette rhétorique s'est mise en place à travers les siècles combinant les besoins de l'homme, la réalisation des différents fantasmes du pouvoir, les péripéties de l'histoire avec les impératifs propres à la construction et à l'urbanisme. L'homme qui vit aujourd'hui dans ses ville d'art et d'histoire aura un rapport discursif extrêmement lié à cette historicité, et ce, de façon inconsciente. C'est l'héritage du passé, ou ce que nous appelons plus communément l'âme de la ville, qui compose le langage avec lequel l'homme et l'espace urbain vont pouvoir discourir.

Dans la ville nouvelle, issue de la société de consommation, les lieux de culte se sont transformés en cathédrales du commerce, de la grande distribution, du produit consommable pour tous. Le château s'est changé en citadelle bunker abritant le pouvoir de l'état, dont les dépendances sont disséminées partout dans la ville. Les cheminées de brique et les petits complexes industriels du XIXeme sont métamorphosés en locaux d'une apparente propreté clinique abritant sièges sociaux et restaurants du nouvel impérialisme économique.

Ceux sont eux les nouveaux signes ! Ni nostalgie ni romantisme : du concret et du rentable, signes peut-être pertinents dans le cadre d'activités économiques mais peu réjouissants dans celui de l'habitat, du loisir, de la flânerie dominicale, du cadre qui, en règle général, nous fait sortir de notre environnement professionnel.

Etant finalement les seuls matériaux que ces villes proposent, c'est l'acte d'appropriation de ses lieux et signes par la population qui va permettre au discours de trouver sa matière.

Avec la série "Lundi c'est caddie ." je propose un exemple ludique de ce phénomène, un exemple sans pathos. Les scènes photographiées se déroulent dans certaines Villes Nouvelles tel que Evry ou Milton Keynes (Angleterre) qui ont conçu leur centre commercial comme point névralgique de la ville, alors que les villes ville d'art et d'histoire ont rejeté les leurs à la périphérie transformant ces non-lieus en pôle certes attractif mais surtout inhibiteur de l'ancien centre ville. La volonté de séparer l'automobile et le piéton par la multitude de passerelle ou de passage souterrain rendent le trajet habitat/centre commercial aussi sûr qu'une promenade en forêt ; conséquence : la promenade du week-end consiste à aller à pied au centre commercial, et d'y revenir le chariot plein.

Une fois les victuailles rentrées, le caddie est laissé sur place, en bas de l'immeuble ou en quelques endroits visibles pour la récupération en début de semaine.

La tentation pour les plus jeunes de s'amuser avec ces jouets gracieusement fournis par les grandes surfaces, est plus fort que tout. Et le dimanche d'objets utiles ils sont devenus objets ludiques. Déplacés, entrechoqués parfois empilés, ils se retrouvent de toute façon disséminés et abandonnés partout dans la ville le lundi matin, en attendant que le préposé au ramassage de caddies veuille bien les ramener au bercail.

Les deux séries de photographies intitulées "lundi c'est caddies."[1998 ; +¥[, sont les prélèvement de ces actions de fin de semaine. Aucune des images est mise en scène, toutes les situations photographiées sont réelles, éphémères, et infinies.

La première série utilise le noir et blanc afin de limiter le parasitage des couleurs et des signes de la ville (graph, panneaux, affiches.). Elle se présente sous la forme d'une série d'image de format 35x45, recouvrant l'ensemble de la surface d'un mur, reprenant par cette profusion d'images la saturation de lignes, de formes, de situations que nous offrent ces villes.

La deuxième série, au contraire, utilise la couleur, et cherche à personnaliser l'objet. Les images (50x60), se présentent sur une ligne, comme des mots pour une phrase. Une sorte de narration, sans réelle histoire, à moins que ce ne soit la vie banal d'un caddie (chercher les enfants à l'école, attendre le bus, aller à la messe.) .

Pour les Duquesnoy le rite du lundi, c'est raviolis.
Pour le ramasseur comme pour moi c'est caddies.

Serge Lhermitte (1998)